Crise sanitaire, pénuries de papier, augmentation des tarifs de l’énergie (accrue avec la guerre en Ukraine) … Depuis plusieurs années le secteur de l’imprimerie affronte des crises à répétition. Mais au milieu de tous ces éléments conjoncturels, quelques bonnes nouvelles ravissent le secteur comme la relocalisation en France de l’impression de prospectus par de grands distributeurs.
Depuis quelques années, certains annonceurs – notamment des acteurs de la grande distribution – relocalisent de façon massive leur impression en France. Une démarche qui relève d’une forme affichée de patriotisme économique mais aussi d’un engagement en faveur de l’environnement. Des imprimeurs français ont repris ces marchés en y apportant leur savoir-faire, aussi bien sur le plan technique que de nouvelles exigences en matière de développement durable : papier recyclé et recyclable, certifications PEFC/FSC et iso, label Imprim’Vert, désencrabilité des papiers améliorée pour le recyclage …
Si certains grands distributeurs comme Leclerc, à travers sa centrale d’achat GALEC, ont toujours privilégié une impression en France de leurs prospectus, nombre de ses concurrents avaient choisi de se tourner vers d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, aux tarifs anciennement plus attractifs.
À l’été 2020, et en pleine crise sanitaire, l’annonce de Dominique Schelcher, Président de Système U, avait donc été accueillie avec une grande satisfaction par les imprimeurs français : « À crise économique exceptionnelle, décision exceptionnelle, » avait-il déclaré.
14 imprimeurs ont ainsi dès 2020 bénéficié de ce choix stratégique de Système U, avec un volume global de près de 350 millions d’exemplaires. Une véritable bouffée d’oxygène pour un secteur d‘activité à l’équilibre précaire. « Ce magnifique exemple mérite d’être signalé haut et fort, » avait ainsi réagi l’imprimeur Jean-Paul Maury, « Cette enseigne défend l’emploi pour que la France s’en sorte. »
Un sentiment partagé par Stéphane Toti, président de Rockson Nouvelle, à Rognac, dans les Bouches-du-Rhône (52 salariés), qui imprime également des prospectus de Lidl, Carrefour, Leader Price, Conforama ou Casino, et dont le chiffre d’affaires a bondi de 150% du jour au lendemain : « L’imprimerie traverse une période difficile liée à une très forte concurrence européenne et à la crise sanitaire. (…) Cela nous permet de consolider notre situation et d’assurer l’avenir ».
Un répit malheureusement de courte durée. La pénurie de papier qui s’est aggravée depuis quelques mois, entraînant une très forte augmentation des coûts, conjuguée à la hausse des prix de l’énergie qui impacte toutes les installations industrielles, rend à nouveau cette activité incertaine…
« Nous sommes toujours sur la même position, nous continuerons à imprimer en France » assure de son côté Thierry Desouches, porte-parole de Système U. « Mais il est clair que nous vivons un véritable choc d’inflation. Le coût du papier et le coût du transport pèsent désormais de façon considérable dans le prix de la communication publi-promotionnelle. Ce qui pourrait avoir une incidence sur les volumes à imprimer, en accélérant certaines réflexions sur le prospectus dématérialisé ».
Les catalogues de fin d’année, autour de Noël et des jouets, ne devraient pas être impactés, « car leur valeur va encore au-delà de leur coût, » estime-t-il. « En revanche, les prospectus de moindre ambition, de plus petite pagination, utilisés régulièrement pour communiquer sur des promotions ponctuelles par exemple, pourraient faire l’objet d’un questionnement et peut-être passer en partie par une communication digitale ».
Les conséquences de la crise sur la vie quotidienne des Français pourraient aussi avoir une incidence sur ce choix. « Nos clients vont être encore plus attentifs aux prix des produits, et dans la performance tarifaire tout rentre en compte, y compris les coûts de communication… », poursuit Thierry Desouches.
« Malgré tout, le prospectus reste un outil important, surtout pour un groupement comme le nôtre. Nous sommes peu présents en zone urbaine. Un U Express dans le centre de Pairs n’a pas forcément besoin d’imprimer beaucoup de prospectus. Ses clients passent devant le magasin tous les jours. En revanche, un Super U situé en zone rurale, alors qu’il existe d’autres grandes surfaces dans un rayon de 10 à 15 kilomètres, a impérativement besoin de faire connaître ses offres. Et là, la distribution de prospectus en boîte aux lettres est un élément extrêmement important. Impossible donc d’arrêter du jour au lendemain. Mais la transition pourrait tout de même bien s’accélérer ».
IPS fait partie des 14 imprimeurs français qui ont été choisis il y a deux ans par Système U pour reprendre l’impression des prospectus du groupement. Jan Lefebvre, son directeur, évoque ce mouvement de relocalisation de l’impression dans l’hexagone et les perspectives d’évolution de ce marché pour le secteur de l’imprimerie.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots IPS et ses principales activités ?
Jan Lefebvre : IPS a 3 usines en France : une à Pacy-sur-Eure, dans l’Eure, avec deux rotatives, une seconde à Reyrieux, au nord de Lyon, avec deux rotatives également, et enfin l’imprimerie FOT à Lyon Saint-Exupéry. Nous faisons partie du groupe STF, fondé en 2000, qui emploie un peu plus de 500 personnes sur huit sites en tout, pour un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
Nous sommes un groupe plutôt généraliste mais l’impression pour la grande distribution sur un site comme celui de Pacy-sur-Eure représente tout de même à peu près 20% de notre production. Nous faisons également du catalogue de voyage, du catalogue bureautique, industriel… Nous travaillons aussi pour l’édition et pour la presse magazine.
En ce qui concerne le prospectus, quels sont vos principaux clients ?
J.L. : Nous travaillons soit pour des agences qui représentent des marques comme Système U, Intermarché, Auchan, Carrefour… Soit pour des marques comme Leclerc qui ne passent pas par des agences mais achètent en direct.
L’activité prospectus est en progression chez IPS ?
J.L. : Le prospectus représentait 23% l’an dernier, donc elle est plutôt en légère baisse.
Système U a-t-il été le seul groupe de la grande distribution à relocaliser l’impression de ses prospectus en France ?
J.L. : Non, Leclerc, depuis longtemps, imprime ses prospectus en France. C’est un groupe qui a toujours été plutôt attentif à maintenir une production dans l’hexagone, sans pour autant beaucoup communiquer sur cette question. Et puis c’est vrai qu’il y a eu un mouvement de fond suite à la prise de position de Système U, qui a ensuite été suivi par d’autres marques, relocalisant également toute ou partie de l’impression de leurs prospectus et catalogues en France.
L’augmentation du prix du papier, du coût de l’énergie, pourraient aussi peser fortement sur le marché du prospectus et sur la santé du secteur de l’imprimerie…
J.L. : C’est certain, nous avons connu une hausse du prix du papier phénoménale, jusqu’à 50% pour certaines catégories. Ce qui va énormément peser sur la trésorerie des entreprises d’impression et mettre certaines d’entre elles, déjà fragilisées, en grande difficulté. Ce n’est heureusement pas le cas de notre groupe.
Comment réagissent vos clients face à ces hausses importantes des prix ?
J.L. : Nous nous retrouvons régulièrement dans des situations compliquées. Par exemple, en septembre dernier, il m’est arrivé de commander du papier pour une grande marque et un mois plus tard, on m’a annoncé que malgré notre bon de commande signé et validé, une hausse allait tout de même être appliquée. On vous dit que bien sûr vous pouvez refuser, mais que le papier ne vous sera alors pas livré. Et cela s’est reproduit en novembre. Il vous faut donc annoncer à vos clients en très peu de temps plusieurs hausses, avec un prix à payer supérieur à celui de vos devis…
Et pourtant, vos plannings sont pleins ?
J.L. : Oui, ce qui peut paraître étonnant, mais qui est le signe d’une véritable reprise économique liée à l’après-Covid. Alors que nous sommes dans un secteur d’activités qui est structurellement en décroissance. Quand nous faisons nos budgets prévisionnels, nous enlevons chaque année 3% de chiffre d’affaires.
Et puis enfin, le coût du transport se surajoute. Avec ces coûts plus élevés pour elles, les imprimeries allemande et italienne, qui venaient régulièrement chercher des clients en France, ne peuvent plus pratiquer le même dumping qu’auparavant.