Quarante jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le conflit semble s’installer. Comme pour les secteurs de l’énergie, ou de certaines productions agricoles, la filière bois-papier anticipe déjà des impacts liés à la guerre avec l’effondrement de la production et des importations depuis l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie. La France n’étant pas dépendante de ces pays pour ses approvisionnements en pâte à papier, les conséquences ne se feront probablement sentir qu’à moyen terme. Quant à la hausse du prix de l’énergie amorcée au second semestre 2021, elle devrait se maintenir dans le contexte géopolitique et climatique, ce qui aura (encore) des répercussions sur les prix du papier. Panorama de la situation du secteur.
Dès le 24 février 2022 au démarrage des hostilités, l’association ukrainienne de l’industrie des pâtes et papiers UkrPapir, basée à Kiev, faisait savoir – par la voix de son directeur général Eduard Litvak – que les usines stoppaient leur production, les opérations militaires empêchant le déroulement normal des chaînes logistiques et mettant en danger les salariés.
Dans le même temps, les grands acteurs européens de la filière papier implantés en Russie, comme le finno-suédois Stora Enso, ont décidé de stopper leur production et leurs importations de Russie. « La guerre en Ukraine est inacceptable et nous soutenons totalement les sanctions. Un plan de compensation a été activé pour assurer la disponibilité des matières premières via d’autres sources », précisait Anica Bresky la Directrice Générale du Groupe, dans une interview à L’Usine Nouvelle début mars. Même tendance observée chez les papetiers finlandais UPM et Mestsä Group qui ont suspendu leurs relations commerciales avec la Russie.
Autre effet de bord pour le secteur : pour les labels engagés dans une gestion durable des forêts, les dimensions environnementales, sociétales et économiques sont indissociables. Aussi, à la suite de la résolution prise le 2 mars 2022 par l’Assemblée Générale des Nations-Unies sur les « Agressions contre l’Ukraine » le bois en provenance de Russie et de Biélorussie a été classé « bois de conflit ». Il ne peut, dès lors, plus faire l’objet de commercialisation sous ces certifications.
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Une décision qui n’empêche pas de poursuivre la gestion durable des forêts dans ces zones. Le directeur général du FSC, Kim Carstensen précisait : « Nous devons agir contre l’agression ; en même temps, nous devons remplir notre mission de préservation des forêts. Nous pensons que le fait d’arrêter tout commerce de produits certifiés FSC ou contrôlés, tout en maintenant l’option de gérer les forêts selon les normes FSC, répond à ces deux besoins ».
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Cela fait plusieurs mois que le secteur du papier graphique est en tension en Europe. En cause ? Après une décennie de déclin de la demande sur ce type de papier, les papetiers ont opéré une transformation partielle de leurs usines de papier graphique vers la production de cartons et emballages souples – dont la demande explose avec le boom du e-commerce et la règlementation limitant les plastiques à usage unique (emballages, gobelets…).
Ce déclin des capacités de production a contribué à l’allongement des délais de production. Par ailleurs, les perturbations logistiques post crise sanitaire sur les chaines d’approvisionnement au niveau mondial ont contribué à faire augmenter le cours de la pâte à papier en 2021. Ce phénomène, couplé à l’envolée des prix de l’énergie, a généré une forte tendance inflationniste, entrainant des hausses de prix allant jusqu’à 80% pour la filière du papier destiné aux journaux et prospectus.
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Et cette situation ne satisfait pas COPACEL – l’organisme de représentation de l’industrie papetière française – qui tenait sa conférence de presse annuelle le 23 mars dernier. Selon, Paul-Antoine Lacour, Délégué Général de COPACEL, cette tendance pousse toujours plus au report du papier vers le digital, que ce soit pour la presse ou pour l’imprimé publicitaire.
« C’est un sujet préoccupant dans la mesure où la part du prospectus et de l’imprimé publicitaire dans la consommation du papier graphique assure un volume de production important – de l’ordre de 60% (chiffre estimatif selon une étude SEREHO) pour l’ADEME – et donc une viabilité économique de cette filière. »
Les tendances amorcées en 2021 devraient malheureusement perdurer. Les modifications de flux de transport liées au conflit risquent d’accroître les perturbations logistiques. Quant au phénomène d’inflation, il sera entretenu par des prix de l’énergie élevés mais aussi par l’impact du prix de l’amidon. Sa production est à la fois dépendante de l’énergie et des céréales – dont les cours sont en hausse – avec des prix à la tonne qui ont bondi de 300€ à 700€ ces derniers mois. Le Président de COPACEL, Philippe Adhémar, appelle ainsi les candidats à la présidentielle à tenir compte du contexte géopolitique et économique : « (…) le futur exécutif devra, pour cette industrie essentielle à la vie du pays et emblématique de l’économie circulaire, rapidement engager des politiques publiques visant à réduire les incertitudes liées à la persistance de prix de l’énergie et de matières premières élevées ».
L’industrie papetière européenne est dotée de nombreux atouts, à commencer par sa capacité d’approvisionnement en bois et en pâte à papier. Cependant, l’équilibre est fragile et sur un marché de forte demande concurrentielle à l’international (bois pour la construction, le chauffage…), – l’association européenne de l’industrie de l’impression basée à Bruxelles – a appelé à l’arrêt des exportations de pâte à papier, papier et bois en dehors de l’Union Européenne « pour préserver l’autonomie des industries de l’impression et de l’édition en Europe ». Dans son communiqué en date du 15 mars dernier, l’association professionnelle enjoint aussi l’Europe à développer une vision long terme, permettant de garantir l’autonomie d’approvisionnement et la capacité de production des pays membres.
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