Malgré un contexte d’allègement des mesures sanitaires et la perspective de l’élection présidentielle – habituellement source d’optimisme – le moral des Français a chuté de 6 points entre février et mars 2022 (enquête INSEE). Le conflit en Ukraine installe en effet en Europe un contexte géopolitique incertain et des hausses des prix des matières premières. Le pouvoir d’achat des Français est donc revenu au centre des débats des candidats. A quelques jours du scrutin, La Revue du Prospectus a interrogé deux économistes pour décoder les comportements des Français et cerner leur état d’esprit.
Pour Philippe Moati, cofondateur de L’ObSoCo (L’Observatoire Société et Consommation), interrogé à ce sujet : « les populations des pays industrialisés souffrent depuis plusieurs années d’un manque de désir d’avenir et d’un fort pessimisme. Dans ce contexte morose, la guerre aux portes de l’Europe qui se combine aujourd’hui avec les conséquences de la crise sanitaire affecte directement leur quotidien. Les gens ont conscience que cela va durer. »
Les Français anticipent donc l’inflation à venir, qui chez nos voisins allemands et espagnols, atteint déjà respectivement 7% et 10%. « Ce sont des phénomènes économiques connus » indique l’économiste, « La peur de la pénurie entraine des actions de stockage, qui génèrent une pénurie, ce qui inquiète alors ceux qui ne l’étaient pas ! Pour autant, nous sommes en France protégés par le système des négociations annuelles dans la grande distribution qui se tiennent en début d’année et limitent ainsi l’envolée des prix. »
Les négociations des prix entre industriels de l’agro-alimentaire et distributeurs ont été particulièrement complexes cette année et se sont clôturées début mars sur des hausses de prix négociées de l’ordre de 3 à 4% pour 2022. Dès ce mois d’avril, les consommateurs vont donc en ressentir les effets dans les rayons.
Ces dernières années ont vu les consommateurs évoluer dans leurs attentes, « il y a une montée en puissance du désir de ‘consommer sain’, quel que soit le niveau de revenus. Cela se traduit par une montée en gamme de ce que les consommateurs mettent dans leur caddie. Les industriels l’ont compris et ont fait beaucoup d’efforts pour améliorer la qualité des produits issus de l’agriculture conventionnelle, c’est ce qui explique un ralentissement du secteur du bio, qui avait débuté avant la crise sanitaire » explique Philippe Moati.
En savoir plus : Du bio et des filières responsables pour le mois de février ! – La Revue du Prospectus
Pascale Hébel est Directrice du pôle « Consommation » au CREDOC, spécialiste de la prospective sur évolutions de comportement des consommateurs. Elle relève des évolutions rapides des modes de consommation : « Il y a un changement du contenu des assiettes que nous observons et qui n’a jamais été si rapide. Il a été impulsé initialement par les catégories à haut capital culturel – celles qui mangent bio et plus végétal pour des questions de santé et d’environnement – et concerne désormais tous les consommateurs. En dix ans la consommation de viande a diminué de 14% et celle des légumineuses a doublé en seulement quatre ans ! »
Accompagnées par la grande distribution, ces tendances sont de plus en plus présentes dans les prospectus qui portent en plus des promotions, un discours de consommation responsable.
Pour Pascale Hébel, qui a déjà observé cette tendance par le passé, en période de crise les consommateurs vont comparer les offres des différents distributeurs : « les consommateurs raisonnent et s’organisent. Ils repèrent les promotions dans les différents catalogues, pour faire leurs courses dans plusieurs lieux ».
Par ailleurs, les Français se sont mis à préparer leur repas, notamment celui de la pause déjeuner sur le lieu de travail. « Cela représente 70% des sondés, contre 40% en 2007 », un phénomène que le CREDOC a particulièrement observé chez les jeunes après le confinement. « Les émissions culinaires à la télévision et surtout les astuces des influenceurs sur les réseaux sociaux incitent au ‘fait-maison’, pas forcément à de la grande cuisine mais à de l’assemblage de produits achetés au supermarché – comme les conserves qui ont désormais le vent en poupe ! », ajoute Pascale Hébel.
Et pour les 6 français sur 10 qui font leurs courses à 10 euros près, les offres promotionnelles deviennent primordiales au moment d’établir les menus et du choix des produits en magasin !
Pour ne pas réduire inutilement leur pouvoir d’achat les Français se mobilisent et font la chasse aux économies d’énergie. Pour Pascale Hébel, c’est aussi un changement : « le discours sur les consommations d’énergies liées à l’usage numérique est enfin audible. Les Français deviennent vigilants à débrancher leur téléphone quand il a terminé sa charge ou éteindre leur box. Il y a peu encore, ces conseils n’avaient pas d’impact, désormais oui ! ».