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Mercedes Erra : « La publicité est le signe d’une démocratie en bonne santé »

21 avril 2021

C’est une des grandes voix de la communication qui a accepté de se prêter au jeu de nos questions pour ce dossier. Mercedes Erra, Fondatrice et Présidente de BETC Groupe, sait ce que sont la publicité, l’engagement et l’obligation de sincérité des marques. Elle est intervenue dans les débats de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et livre une analyse à la fois lucide et experte.

Qui êtes-vous Mercedes Erra ?

     

 

Parcours express

        M.E. : J’ai fondé l’agence BETC en 1995 avec mes associés de l’époque. C’est aujourd’hui la première agence française de publicité, elle se situe dans le top 3 des agences européennes. Je préside le groupe BETC, BETC Fullsix et Havas 04 qui emploient 1 500 personnes. À titre personnel, je me suis engagée dans de nombreuses causes en faveur des femmes et des droits humains. Par exemple, le Women’s Forum for the Economy and Society, que j’ai cofondé, le Global Summit of Women, ou encore la Commission Innovation 2030. Je suis également co-Présidente du Comité français de Human Rights Watch et j’ai été membre du Conseil Consultatif pour l’égalité entre les femmes et les hommes de la Présidence Française du G7 en 2019. Depuis 2010, je suis Présidente du conseil d’administration du Musée national de l’histoire de l’immigration

 

 

 

 

En matière d’écologie…

        M.E. : Je crois avoir le même rapport que l’ensemble des citoyens français à la question. C’est-à-dire la conviction que tout le monde est concerné, inquiet, et qu’il faut prendre des mesures. Vous savez, je travaille dans un univers composé majoritairement de jeunes. Je vois qu’ils sont plus « intenses » sur ces sujets. Comme eux, je veux savoir sur quoi il faut vraiment travailler pour résoudre les problèmes, et je suis convaincue que ce ne seront ni les discours régressifs, ni les clichés qui nous sauveront. Je vise une écologie d’avenir, qui embarque vers le futur et non pas celle qui promeut un retour en arrière !

La publicité est-elle coupable de « crime sur l’environnement » ?

La publicité interrogée

M.E. : Ça dépend pour qui ! Bien-sûr que certains écologistes et certains parlementaires ont tendance à penser cela. En grande partie parce que nos métiers sont mal connus. Parce que les impacts positifs sur la société, sur l’économie, sur l’emploi et sur les autres secteurs qui en dépendent ne sont pas assez mis en valeur. On n’évoque pas assez la capacité de la publicité à faire évoluer les comportements vers un mieux consommer. Cette capacité est réelle et sans elle, on ne pourra pas opérer la transition nécessaire.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la publicité est liée au monde tel qu’il est : un monde économique libéral où prévalent la concurrence et le libre choix. La communication est, pour les entreprises, un passage obligatoire pour s’adresser à leurs clients et pour vendre.

Evidemment, il arrive que la publicité soit agressive ou intrusive. Mais ce n’est pas la mieux reçue par les consommateurs, en général très avisés. De même, assimiler la pub à la « surconsommation » revient à ne pas faire confiance au consommateur, à le prendre pour un idiot. Les gens savent parfaitement dire quand ils ne veulent pas d’un produit ou d’une marque.

Que la consommation soit questionnée, c’est un fait. Moins d’achat d’impulsion et plus d’achat de réflexion. Soit. Il faut donc accompagner cette démarche de transition, créer des désirs compatibles à la fois avec la réduction de notre empreinte climatique et avec la nécessaire relance. Et cela existe déjà ! Regardez Darty qui promeut l’électroménager durable avec son indice de durabilité.

La publicité sous-estimée

M.E. : La crise que nous traversons creuse les écarts au sein de la population. D’un côté, il y a les ménages dont la situation financière s’est dégradée, et qui ont de réels problèmes de pouvoir d’achat. Ceux-là vont devoir faire plus attention à leur budget. Ils attendront des marques et des enseignes de la distribution des efforts en faveur de leur porte-monnaie, avec des prix plus accessibles. À l’image de Leclerc qui revient en force avec les prix bas et les prix justes. De l’autre côté, les ménages qui, depuis un an, ont opéré une thésaurisation maximale car ils sont inquiets. Et l’inquiétude est toujours mauvaise pour l’économie !

Nous sommes donc à un moment capital où la publicité a un rôle important à jouer pour maintenir le lien entre les consommateurs et les entreprises. Pour créer de l’envie, de l’optimisme, du désir. Ce n’est donc pas le moment de distiller des inquiétudes supplémentaires.

La publicité est un levier puissant. Pour l’économie, elle doit contribuer à la reprise post-COVID. Rappelons qu’1€ investi en publicité génère 7,85€ de PIB [1]. La publicité doit également recréer des revenus pour les médias, dont le modèle économique est en grande partie fondé sur la vente d’espaces publicitaires. La publicité, c’est de la croissance et des emplois. Alors il vaut mieux la soutenir que de chercher à lui mettre des bâtons dans les roues !

J’ajoute que ce secteur, composé majoritairement de petites et moyennes entreprises, est lui-même très touché. On parle en 2020 d’une chute de 20 % du chiffre d’affaires.

Faut-il la réguler en ce sens et, si oui, sur quels critères objectifs ?

M.E. : La publicité est déjà très encadrée. Tout le monde semble découvrir l’ARPP [NDLR : l’ARPP a 84 ans], le Jury de Déontologie Publicitaire, etc. qui la régulent pourtant depuis longtemps.

Il faut être prudent. La création publicitaire ne doit pas être un lieu de conformisme. Le conformisme, ça ne crée pas d’histoires, pas de désirs. Se pose-t-on la question de savoir s’il faut réguler les fictions ?

Réguler la publicité à l’excès, c’est prendre le risque d’appauvrir la création. Celle-ci a besoin d’un peu de liberté, sinon elle devient insipide et le public prend ses distances. Gardons-nous de tout verrouiller de façon excessive. Ce qui est important, en revanche, c’est que ce qui est énoncé soit vrai. Il y a un véritable enjeu de vérification et de contrôle.

La filière communication s’engage pour le climat

Avec ses collègues de la filière communication, dont elle est vice-présidente, Mercedes Erra a co-signé une Charte de sept engagements. Elle précise qu’elle « a travaillé avec détermination et enthousiasme à ces engagements pour le climat. Ils inscrivent l’ensemble des métiers de la communication dans un chemin de transition écologique volontariste et posent les jalons d’un monde meilleur à laisser aux générations futures. Nous allons dès à présent regarder avec quelle trajectoire nous allons atteindre ces objectifs ambitieux ».

L’imprimé publicitaire est-il un support encore plus « coupable » ?

M.E. : Je travaille avec des distributeurs. Je sais l’utilité du catalogue ou du prospectus, pour les commerces locaux, pour les ménages les plus pauvres que je mentionnais, pour ceux qui n’ont pas pris le virage du digital. Nombre de Français sont très attachés à l’imprimé publicitaire, qui fait partie de leur quotidien. C’est un support d’information et d’accessibilité très important, quand on sait que près de six Français sur dix font leurs courses à 10€ près ! Il aide les consommateurs à comparer, faire leurs choix et boucler leur budget.

J’ajoute que ce qui est déposé dans les boîtes aux lettres, et l’écrit en général, a toujours une valeur. Une boîte vide, c’est triste ! Attention, là-aussi, de ne pas céder à un discours très éloigné de la réalité du quotidien de beaucoup de nos concitoyens…

Plutôt « Stop-Pub » ou « Oui-Pub » ?

M.E. : Les gens peuvent déjà mettre Stop-Pub s’ils le veulent. Cela en appelle à leur libre arbitre. Apposer le Oui-Pub est autre chose. J’ai la sensation qu’on demande aux consommateurs de réclamer. Moi je ne réclame pas !

Il faut aussi penser aux conséquences prévisibles si un tel dispositif est déployé. D’une part, ce sont 48 000 emplois [2] qui sont menacés. D’autre part, les entreprises, qui auront toujours besoin de communiquer auprès des consommateurs, réorienteront leurs campagnes vers d’autres supports. Il est fort probable que ce seront les GAFA [3] qui en tireront les bénéfices, au détriment d’un emploi local.

En conclusion ? Quel rôle pour la pub et le prospectus aujourd’hui et demain ? Quelles seraient vos recommandations ?

M.E. : Je suis convaincue que le rôle de la publicité sera toujours aussi important. Il n’existe pas une démocratie ou un monde libéral sans pub. D’ailleurs, même le monde politique a besoin de la publicité. On élit un représentant politique parce qu’on l’entend, qu’on le voit et qu’il fait sa propre promotion, y compris via des tracts papier. Quelque part, la publicité est le signe d’une démocratie en bonne santé.

Et puis, la nature humaine fait que beaucoup, tout, se passe et existe dans notre tête. Et c’est la parole qui permet cela. Quand on a la capacité de persuader les gens, ce sont eux ensuite qui font bouger les entreprises. Car ils leur demandent non seulement de bien faire leur métier, mais de le faire sans endommager la planète.

C’est le public qui dicte la donne, la communication ne va jamais à l’encontre de ça. Alors, à moins que nous ne sombrions dans une dictature où la propagande remplacerait la communication, je reste optimiste pour le futur !

Propos recueillis en Mars 2021

 

Pour aller plus loin

La Revue du Prospectus consacre un dossier inédit sur la place de la publicité dans la société. Découvrez dès maintenant…

L’avis des autres experts :

La réponse de l’expert de MEDIAPOSTE, Nicole Abenhaïm : « MEDIAPOSTE accompagne les évolutions environnementales et sociétales avec ses parties prenantes »

 

[1] D’après une étude menée par Deloitte.

[2] 60 000 selon l’étude EY. Voir aussi « L’empreinte de l’écosystème du papier-graphique en France : sociale, économique et circulaire »

[3] NDLR : GAFA pour Google, Amazon, Facebook et Apple, auxquels est souvent ajouté le M de Microsoft. Ce sont les cinq géants américains qui dominent le marché du numérique mondial.

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