Stéphane Toti dirige l’imprimerie Rockson Nouvelle à Rognac (13), créée par son père et son associé Henri PAPAZIAN dans les années 70. Cédée au Groupe Maury en 2014, il l’a rachetée auprès du Tribunal de commerce en avril 2017 après liquidation car il ne pouvait pas se résoudre à voir cette entreprise familiale disparaitre. « Cela n’a pas toujours été un long fleuve tranquille », nous a-t-il confié. Difficultés, manque de moyens financiers, adaptation, motivation, prospective… La Revue du Prospectus a recueilli le point de vue de cet imprimeur, dont 90% du chiffre d’affaires est aujourd’hui généré par le prospectus.
Stéphane Toti : Fondée dans les années 70 par mon père et Henri PAPAZIAN, son associé, l’imprimerie Rockson a démarré son activité avec une machine monocouleur. L’entreprise s’est ensuite développée jusqu’à devenir l’un des premiers imprimeurs feuilles de la région Sud-Est. Les premières rotatives Nebiolo ont été mises en service en 1987 et par la suite la société s’est modernisée avec un parc de 5 rotatives KBA. Après que la société a failli disparaître en 2016, je l’ai rachetée et ce sont désormais 36 salariés qui la font vivre à mes côtés.
ST : Nous avons repris la société avec 4 rotatives au total : une rotative 16 pages, 1 rotative 24 pages et 2 rotatives 80 pages. Avec la conjoncture de la Covid et les hausses régulières de l’énergie qui nous ont fait perdre beaucoup de parts de marché nous avons mis à la ferraille la rotative 16 pages et la rotative 24 pages. La région ne dispose malheureusement plus d’atelier de façonnage ce qui nous bloque pour le marché du magazine ou du catalogue. Aussi, nous produisons uniquement des produits qui sortent façonnés en ligne en interne piqués rognés ou collés rognés de 16 à 96 pages pour répondre aux besoins de nos clients de la grande distribution qui nous font confiance depuis la reprise de la société.
« Le prospectus papier participe de la vitalité de la concurrence dans les zones rurales et péri-urbaines »
ST : Dans l’incertitude ! En 2022, notre contrat d’achat d’électricité a doublé et nous avons repris une nouvelle hausse de 125 % au 1er janvier 2023. Idem pour le prix d’achat du gaz que nous utilisons en grande quantité, qui a été multiplié par 8, soit 400 % de plus au 1er janvier 2023. Pour 2022 nous avons réussi à revoir nos tarifs avec nos clients et, depuis septembre, nous avons obtenu des aides de l’état de l’ordre de 9% sur nos coûts énergétiques. Malheureusement, c’est très insuffisant et nous manquons de visibilité sur le soutien que nous pouvons attendre pour 2023. Dans ce contexte, il est difficile d’établir une grille tarifaire pour nos clients et c’est préjudiciable pour notre carnet de commande !
ST : Cela fait dix ans que certaines enseignes, comme Leclerc ou Monoprix par exemple, cherchent à se désengager du prospectus papier. La crise actuelle de l’énergie avec le conflit en Ukraine a renchéri le coût du papier et de l’impression, alors elles accélèrent. Pour autant, on ne peut pas dire que la solution soit neutre, au contraire ! Car tout ce qui n’est plus sur papier passe en digital dont l’impact écologique est loin d’être anodin. Il faut tenir compte de l’électricité consommée pour le stockage des données dans des data centers dont la consommation énergétique est en augmentation constante au fil des années. La fabrication des appareils numériques requiert, par ailleurs, des matériaux difficilement recyclables comme des métaux rares ou des plastiques. On sait que l’extraction des métaux rares est particulièrement polluante et l’utilisation des terres rares pose également des problèmes géopolitiques importants. Mais personne n’en parle.
« En supprimant les prospectus on dirait que tout est fait pour priver le consommateur du contrôle de ses achats. »
Par ailleurs, le prospectus papier participe de la vitalité de la concurrence dans les zones rurales et péri-urbaines : les gens peuvent comparer les prix. Comme pour le ticket de caisse papier qu’on essaie de faire disparaître, en supprimant les prospectus on dirait que tout est fait pour priver le consommateur du contrôle de ses achats. Pourtant, en période d’inflation et donc de contraction du pouvoir d’achat, comme en ce moment, c’est essentiel. Je ne dis pas que cela concerne tous les consommateurs, mais une bonne partie d’entre eux est attachée à cet usage.
ST : Non, d’abord parce que la fréquentation des commerces varie à la baisse lorsqu’il n’y a pas de prospectus, les responsables de magasin le savent. Ensuite, on l’observe avec le Groupe Schwarz qui a le vent en poupe dans la grande distribution : en scénarisant un rendez-vous hebdomadaire de promotions bien rythmées, le prospectus participe à la vitalité du commerce et du pouvoir d’achat des consommateurs. D’ailleurs, en rachetant cet automne une des usines de production de papier Stora Enzo, le groupe de distribution, qui comprend notamment l’enseigne Lidl, s’assure de son approvisionnement papier pour la production de ses propres catalogues.
ST : Cela fait des années que la filière papetière s’est engagée dans une démarche circulaire. Le papier que nous utilisons est issu de l’UE, donc de forêts gérées durablement, majoritairement certifiées FSC et PEFC. Par ailleurs, nous remettons dans le circuit de recyclage toutes les chutes de papier de nos productions. Pour pallier la hausse de l’électricité, chez Rockson Nouvelle, nous étudions un projet d’installation de panneaux photovoltaïques en toiture, qui nous permettra normalement d’économiser 10% sur nos factures électriques. Couplé à l’énergie décarbonée dont nous disposons en France grâce au parc nucléaire, cela fait de l’imprimerie un secteur engagé dans une démarche responsable.
« J’espère que la grande distribution va imaginer de nouvelles formes de prospectus papier »
ST : Ce qui m’anime et pour quoi je m’engage chaque matin, ce sont les 36 salariés de mon entreprise, qui sont autant de foyers qui vivent grâce à notre travail. La chaîne de production pour réaliser un prospectus depuis la réception des fichiers jusqu’à la mise sur palettes en passant par la copie ou le calage est un métier complexe et riche. Les intérimaires ou les nouveaux employés que nous formons chaque année sont toujours très impressionnés à leur arrivée.
Mais attention, arrêter le prospectus papier, c’est arrêter des lignes de production, des machines, et risquer qu’elles ne redémarrent plus jamais. On tire à boulets rouges sur la filière papier, j’ai le sentiment qu’on n’est pas aussi exigeant avec internet. La publicité en ligne, le e-commerce et la livraison ont aussi un gros impact. Or, tout le monde doit faire des efforts !
Dans le futur, j’espère que la grande distribution va imaginer de nouvelles formes de prospectus papier qui soient moins ambitieuses en termes de pagination mais plus présentes auprès des consommateurs pour contribuer à soutenir leur pouvoir d’achat au quotidien.